Création de Claude Aymon pour la Wei Dance Company et sa propre compagnie, c2a,

c'est une pièce qui s'articule autour de deux duos mixtes mêlant deux danseurs des deux compagnies :

Une danseuse taïwanaise et un danseur français.

Un danseur taïwanais et une danseuse française.


Elle est inspirée de la Saint-Valentin chinoise,

qui est célébrée le septième jour du septième mois du calendrier lunaire chinois.


Selon la tradition, un jeune bouvier et une fée ont été séparés alors qu'éperdument amoureux.

La pluie est faite de leurs pleurs de ne pas pouvoir vivre ensemble.


Ils ne sont autorisés à se revoir qu'à la Saint-Valentin,

la septième nuit du septième mois.


La pièce s'est créée a à la fois en France et à Taïwan, avec une première taïwanaise en août 2014 et une première française en février 2015.

lundi 27 avril 2015

la Septième Nuit en France - la première


Encore quelques raisons de stresser,
redevenir interprète, 
rencontrer le public français dans un théâtre .. enfin




19h,
Didier Phillispart arrive.
Il inaugure une expo de photos de danse dans les halls du théâtre.
On pensait voir au moins un cliché parmi ceux qu'il a faits de nous …
Hélas ..
Il y a le Ballet National de Marseille (le B.N.M. comme on dit ici)
le C.C.N. d'Aix,
le Béjart Ballet,
la compagnie Hervé Koubi ...

Je me dis que la prochaine fois que je fais une création,
il faudrait qu'on la fasse nous l'expo,
il y a ce que je fais mais il y a surtout le boulot de Fred qui est remarquable.
En même temps, avoir un autre artiste qui expose peut peut-être nous amener du monde,
on verra bien.

L'équipe du théâtre s'organise pour accueillir le public,
celui du vernissage et le nôtre.
Mon ordinateur est mal placé.
Je demande calmement mais fermement que personne n'y touche.
Les danseurs sont sur le plateau.
Derniers pas sur scène,
échauffement persos,
je fais l'aller retour du plateau à l'ordinateur,
la boule au ventre.

19h30.
Les premiers invités au vernissage arrivent.
Certains sont des modèles du photographe,
des danseurs au B.N.M.

19h46.
Le film est prêt.
Je le monte à Fred en régie.
On tente.
Même blocage.
Je ne sais plus quoi faire,
je me prépare à travailler avec la version de répèt' ,
avec ce gros « Claude boléro » écrit en blanc sur fond noir à la place du film qui pose souci.
Je m'en veux de n'avoir pu le faire plus tôt,
mais quand ?
un jour où je me sentais trop crevé,
est-ce que j'aurais pu être efficace ?
pour la danse ? l'image ?
Finalement, on trouve une solution.
Un autre logiciel dans lequel le film passe sans bégayer,
il est moins maniable pour Fred :
avec le logiciel habituel, on est tout de suite en « plein écran »,
il n'y a pas de souris qui se balade, de curseur ou de quoique ce soit d'autre inhérent au réglage,
on ne voit que le film.
Avec celui-ci, il y a un petit rectangle de réglage qui apparait au début.
Il disparait assez vite mais le souci c'est que si l'ordinateur bouge, ou si Fred touche le trackpad 

(la souris sur un portable pour les non initiés), il réapparaitra peut-être …

De toute manière, on n'a pas le choix.

Je décide qu'à partir de maintenant,
je ne suis plus que, danseur,
enfin, interprète.

Je décide que tout se passera bien
et que s'il y a un souci technique,
Sylvain, Fred ou l'équipe du théâtre nous sauveront.

Je me replie sur moi,
révisant mon texte en me chauffant.
J'espère que ça se passera mieux qu'au dernier filage.
Je me dis que j'aurais peut-être mieux fait d'écrire le texte complètement plutôt que de ne faire qu'une trame autour de laquelle j'article mon speech.
Je ne sais plus trop.
En tous cas, il fait que j'aie la chronologie sans faille avec le plus de détails possible en tête.

Marion, l'administratrice, arrive.
Je la présente à Wan Zhu et Cheng Wei,
et tente de me replonger dans la révision et la concentration,
mais elle a envie de discuter avec nous,
pour elle c'est le début du week-end,
question de timing,
d'empathie …
Faire avec ...

Quand elle repart vers le bar,
je peux enfin me replonger dans ma préparation, autant physique que mentale.
Derniers instants avant l'entrée dans l'arène.

20h15,
le bar est plein,
les gens parlent fort,
l'ambiance a l'air bonne.
On fait « la mise »
(c'est à dire que l'on a installé en coulisses toutes les choses dont nous aurons besoin pendant le spectacle : costumes, vestes ou écharpes pour se tenir au chaud, mouchoirs, bouteille d'eau …)
On se souhaite bonne chance :
un grand câlin collectif et une série de petits rituels qui sont propres à la compagnie ...
et que je ne vous raconterai pas …

Et puis,

c'est parti.

Nous sommes dans la loge qui relie le bar à la scène.
Élise part la première.
Dans ce qu'on a prévu,
Cheng Wei est le second à apparaître.
Il est sensé aller derrière le bar pour lancer la musique quand Élise est installée au comptoir.
Nous sommes derrière la porte, concentrés,
il nous semble entendre la musique qui démarre dans le brouhaha.
On s'affole,
je dis à Cheng Wei d'aller se placer au bar comme prévu même si la musique a commencé.
Il ouvre la porte.
Il n'y avait pas de musique.
Nous reprenons donc les choses dans l'ordre.

La porte se referme.
Il ne reste plus que Wan Zhu et moi.
Je la prends une dernière fois dans mes bras.
La musique démarre.

Nous faisons notre apparition dans le hall.
Un cercle s'est fait comme par magie autour d'Élise.
Elle plante sa tête dans le comptoir.
C'est mon repère,
Je viens la rasseoir sur sa chaise et je monte dans la salle.

Fred et Sylvain sont prêts,
je lance un dernier merde et m'installe en coulisses où m'attend mon sweat-shirt que j'enfile par dessus ma chemise chinoise noire pour ne pas avoir froid.

Fred lance la vidéo.
Je révise une dernière fois mon texte.

Le film doit durer le temps de l'installation public.
L'idéal serait que les spectateurs aient juste le temps de s'imprégner de cette scène de plage 

où le ciel gris bleu laisse entrevoir en contrejour les silhouettes d'Élise et Cheng Wei 
discutant au bord de la mer après quelques jours de typhon.




Élise, qui a fini son solo au bar,
ouvre la porte par où le public arrive,
elle disparaît dans les coulisses,
Cheng Wei la suit de près,
et fait de même.

Les portes s'ouvrent,
Eric est à la porte avec Marion.
Il récupère les tickets,
elle distribue les questionnaires « à la taïwanaise » que nous avons confectionnés
(à Taïwan, à chaque spectacle, on distribue un questionnaire demandant des retours sur le spectacle, 
j'ai décidé de tenter l'expérience ici, mais je crois que je vous l'ai déjà dit …).

Les gens prennent leur temps, ils discutent beaucoup avec Marion et Éric,
beaucoup trop à mon goût.
Quand j'ai composé la musique et décidé de la longueur du film qui va avec,
j'avais trouvé tout ça un peu long, maintenant j'ai peur que ça ne soit trop court …
Interminables secondes d'attente,
je tente de me calmer en regardant la vidéo de la mer,
je révise encore.

Tout le monde est installé
On est à la guitare chinoise,
pile poil à l'endroit escompté.
Je souffle.

Fin de film,
demie salle,
noir salle,
je rentre m'installer sur le tabouret,
bascule lumière,
c'est à moi.


« Autant vous prévenir … »
Et je déroule mon fil,
sans accroc,
sans même bafouiller,
j'enchaîne les éléments de cette vraie fausse histoire de jeunes gens séparés par la volonté d'une mère envieuse 
et un peu trop guindée,
histoire pas si éloignée de la vraie mythologie de la Saint-Valentin chinoise …
Je m'étonne moi même.

« Qi Xi »,
c'est le repère de Wan Zhu.
Elle avait finalement décidé de rester dehors le plus longtemps possible.
Le seul repère qu'elle pouvait avoir pour entrer sur scène pendant mon monologue était un mot chinois,
je devais donc caser Qi Xi, le nom de la Saint-Valentin chinoise au moment opportun.

« Qi Xi »
elle apparaît par l'entrée public, traverse la scène d'avant-scène cour à lointain jardin 
et va se poser quasiment dernièrement moi, en fond de scène.
Je finis mon texte,
son film commence,
elle tremble un peu,
mais elle est majestueuse.


Elle déroule son histoire.
Les pêcheurs disparaissent.
Élise traverse la salle devant l'écran,
Cheng Wei la suit en courant.
Le boléro commence.
Nous sommes tous les trois dans la même coulisse,
réunis,
enfin,
concentrés sur sa danse.

Je prends Cheng Wei dans mes bras,
je serre Élise très fort par les épaules,
et la lâche quand la table de jardin apparaît.


C'est le moment de notre première traversée,
celle de l'affiche,
que l'on fait ici pour la première fois


Le boléro se finit,
le duo des filles s'est bien passé,
Élise enchaîne,
seule,
elle danse bien ce soir,
avec ce trac que je peux lire dans le coin de ses yeux.
Elle doit tenir la dragée haute à la frêle Wan Zhu qui se révèle d'un charisme redoutable.

L'arrivée de Cheng Wei,
« bienvenue à Taïwan »
Son solo …
Je me prépare.
C'est bien, il fait assez chaud pour qu'on puisse être en costume sans quoi que ce soit d'autre …

Je rentre,
martelant le sol de mes talons pour combattre ce foutu trac.
C'est notre duo,
le même qu'à Kaohsiung,
et comme à Kaohsiung,
nous tremblons,
au même moment,
à l'écoute jusque dans les faiblesses …

Le quatuor central,
je me concentre sur moi,
les appuis, les comptes,
je gère les douleurs,
tout se passe …
Plutôt bien.

On en arrive au moment où Cheng Wei raconte la vraie histoire de Qi Xi mais en chinois …
Je dois attendre cinquante secondes avant de l'interrompre.
Je suis derrière le rideau,
comptant sur mes doigts,
fébrilement.
J'apparais,
je lui dis que le public ne peut pas comprendre,


il lance un « Putain » récemment appris, avec son accent inénarrable.
Les gens rient,
c'est gagné.
Parmi les rires, on entend une voix qui dit avoir compris ce que disait Cheng Wei,
peu importe.

On continue.

Les préparatifs,
les évanouissements,
le slow.
Il y a ce moment magique,
que seul Cheng Wei et moi pouvons vivre :
Celui où les filles, dos au public, s'avancent vers nous et nous regardent avant qu'on les enlace.
Tant d'émotions dans les regards.
Je prends Wan Zhu dans mes bras.
Son corps est si frêle.
La première étreinte, je le sens le soulagement d'être arrivé jusque là,
chez elle comme chez moi,
avec ce sentiment des dernières marches avant la vraie victoire.
C'est tellement agréable de pouvoir partager cette peur sur scène de cette façon.

Souvent, c'est le moment du grand final,
plein d'énergie,
celui de la dernière danse.
Pour cette fois, ce sera
doux.

Le temps de plonger dans ce dernier quatuor,
les noms des amants célèbres défilent sur l'écran,
signe pour Cheng Wei et moi de nos derniers mouvements.

Pour ce moment, j'ai choisi la mélodie de « il n'y a pas d'amour heureux » joué au carillon.
La seule mélodie qui n'est pas de moi dans la pièce.

Les dernières notes,
Fred fait le noir.

Voilà.
On l'a fait !

Le premier salut,
les applaudissements ont l'air chaleureux.
Élise et Cheng Wei partent à cour,
Wan Zhu est avec moi à jardin, retenant ses larmes derrière un grand sourire,

le second salut qui finit par le clin d'oeil à l'équipe technique,
Sylvain,
Fred,
ça y est,
on peut respirer,
il va falloir trouver une solution pour le film d'ici demain
mais pour l'instant on expire,
tout va bien?

Un dernier salut et nous retrouvons dans la loge.

Dans un cri, je pousse un « YES » libérateur.
On parle de nos impressions,
les yeux brillent,
on est content d'avoir tenu jusqu'au bout,
d'y avoir cru coûte que coûte.

Élise est déjà habillée,
elle est toujours la première à sortir des loges pour aller retrouver ses amis.


Je tente de regrouper un tout petit peu mes affaires pour ne pas avoir à chercher ce soir …
Ou demain.

J'arrive le dernier au bar.
Cheng Wei et Wan Zhu sont entourés de gens,
qui leur disent « merci »,
qui les félicitent,
ça fait chaud au coeur.
Je croise des vieilles connaissances, comme Béatrice que je n'avais plus vue depuis vingt ans,
ou mon ancien kiné et ses filles à qui j'ai fait découvrir la danse « non classique »,
(ah le regard de Lisa qui, du haut de ses huit ans, découvrait le pied flex …
Elle est à la fac maintenant),
il y a les « habitués »,
des élèves qui ont vu quasiment toutes mes créations,


des néophytes trainés par des amis,
ce sont hélas les seules têtes inconnues,
il semble tout aussi difficile de faire venir des gens dans des lieux moins connus,
que de faire venir des programmateurs …

Je finis mon premier verre de vin blanc en même temps que Wan Zhu finit sa bière,
j'ai commencé bien plus tard pourtant …


Je discute un peu avec tout le monde,
tente de récupérer tous les questionnaires,
les danseurs du Ballet National ne les ont pas remplis,
ils ne sont d'ailleurs pas restés.
Dommage.
Pas assez bien pour eux peut-être.

Minuit.
Je mets Wan Zhu, Sylvain et Cheng Wei dans la voiture.

1h
Je me gare.

1h30
Je suis couché.

Récit d'une première,
peut-être pas tout à fait comme les autres.
Je crois que je me sens bien.


1 commentaire:

  1. Lire un récit si délicatement raconté, regret de l'absence, et sensation, grâce aux mots, au rythme de l'écriture, d'avoir été là..la suite?

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